À l’heure où le Togo se veut moderne, décentralisé et plus proche de ses citoyens, une ville emblématique continue de sombrer dans l’oubli institutionnel et l’abandon social: Tsévié. La préfecture de Zio compte 16 cantons dont celui de Tsévié qui est l’épicentre de cette préfecture. Celui-ci brille par son absence caractérisée dans les sphères décisionnelles et politiques.
Trois fois chef-lieu : de la région Maritime, de la préfecture de Zio et de la commune Zio 1. Les natifs de grand et stratégique canton de Tsévié ne figurent pourtant nulle part où les décisions se prennent. Est-ce un paradoxe d’État ou une injustice républicaine? Le constat est flagrant. Pour preuve: à l’Assemblée nationale, aucun député ne porte aujourd’hui la voix de cette cité stratégique. Après les élections législatives de 2018 où ce canton était présent à l’Assemblée nationale à travers deux députés – Madame NOMANYO Nyonufio du parti Union pour la République (UNIR) et AGBANU Moïse de l’Union des Forces pour le Changement (UFC) – le ciel s’est assombri et plus rien. Au Conseil régional de la Région maritime, le canton de Tsévié est aux abonnés absents. Les cadres locaux sont exclus des instances décisionnelles régionales, alors même qu’ils sont censés y être et jouer pleinement leur partition. Au Sénat, même scénario. Aucun fils à la tête d’une institution, ni à un poste de directeur d’une quelconque société d’Etat. Le dernier ministre natif de Tsévié, Monsieur FELI-DOH, date de la période de transition de 1991. Aujourd’hui, les quelques cadres dont le president de l’Assemblée nationale, Kodjo ADEDZE ou encore le Président de la République, Jean-Lucien SAVI de Tové sont issus d’autres cantons tels que Kovié et Mission-Tové, et le développement du canton de Tsévié est cadet de leurs soucis.

Etat délabré de la ville de Tsévié
Au niveau des agents travaillant à la préfecture de Zio, le canton est quasiment effacé. À la mairie de Zio 1, il est marginalisé. Même au gouvernorat, cette ville pourtant capitale régionale, ne semble être qu’un point de passage, jamais une priorité. À croire que la République a oublié l’existence de cette ville qui fut jadis un centre névralgique de la vie politique, sociale et culturelle du Togo.
Tsévié, une ville sans infrastructures adéquates
Mais l’oubli politique n’est qu’un pan du drame. Ce qui frappe tout autant et qui même dommage, c’est l’état d’abandon physique de la ville de Tsévié. La ville est sale, mal entretenue, désorganisée. Les routes sont pour la plupart impraticables, les égouts débordent, les ordures s’accumulent à chaque coin de rue, comme pour témoigner de l’indifférence des pouvoirs publics. À la tombée de la nuit, c’est un autre calvaire: éclairage public quasi inexistant, insécurité galopante. Tsévié ne bénéficie d’aucun projet structurant. Aucun investissement sérieux. Aucune vision claire pour l’avenir. Ceux qui y vivent le savent: ce qui n’est pas fait pour Tsévié dépasse de loin ce qui est entrepris, et cela depuis bien trop longtemps. Cette ville, qui a pourtant enfanté de nombreux cadres de la nation, semble payer le prix d’un oubli collectif, peut-être même d’un choix politique délibéré.
Il est temps de poser la question qui fâche : comment peut-on être chef-lieu à trois niveaux administratifs et n’avoir ni représentant, ni voix, ni projets ? Que vaut un titre quand il ne s’accompagne d’aucun moyen, d’aucune reconnaissance, d’aucune volonté politique ? Tsévié est aujourd’hui l’exemple même d’une décentralisation dévoyée. Une coquille vide. Un chef-lieu sans chef, une capitale sans capitaux, une cité sans citoyens entendus. Pourtant lors des élections législatives togolaises du 29 avril 2024, la préfecture de Zio, dont Tsévié est le chef-lieu, s’est vue attribuer 4 sièges à l’Assemblée nationale. Ces sièges ont tous été remportés par le parti au pouvoir, l’Union pour la République (UNIR), qui a obtenu 108 des 113 sièges au niveau national.
Bien que le scrutin se soit déroulé dans le calme avec un taux de participation de 61 %, les résultats dans la préfecture de Zio reflètent les tendances nationales, avec une domination écrasante du parti UNIR.
Laisser le périmètre de Tsévié à l’écart, c’est tourner le dos à l’équilibre territorial, c’est fragiliser la cohésion nationale, c’est envoyer un message destructeur à toute une génération de jeunes de Zio qui, chaque jour, constatent que leur ville ne compte pas.
Une ville située à une trentaine de kilomètres de la capitale togolaise qui est laissée pour compte et dont le défilé des bidons jaunes pour la quête de l’eau potable reste la chose la mieux partagée.

Défilé des bidons jaunes à Tsévié
Bientôt les élections locales, annoncées sur le 10 juillet prochain. Elles se préparent déjà activement. Il est urgent que le gouvernement regarde Tsévié avec les yeux du coeur. Urgent que les élus assument leur devoir. Urgent que la République, enfin, adopte cet orphelin qu’elle a trop longtemps délaissé. Car une République qui oublie ses enfants les plus visibles devient une République incomplète. Et aucun développement ne peut se faire dans un milieu sans l’implication réelle de ses fils et filles. A bon entendeur, demi-mot.
David RICARDO