« Si nous n’abordons pas les défis de l’Afrique avec une unité de pensée et d’actions, nous nous condamnerons à des échanges vides et à des marchandages stériles, jusqu’au jour où le spectre de la colonisation renaîtra.», a déclaré Dr Kwame Nkrumah, premier président ghanéen et père de l’indépendance.

Dr Kwame Nkrumah
Depuis la parution de son ouvrage « Africa Must Unite », nombreux sont ceux qui ont élevé Kwame Nkrumah au rang d’icône absolue du panafricanisme, persuadés qu’il incarnait le premier président véritablement engagé pour l’unité du continent. Pourtant, il est essentiel de rappeler que le mouvement panafricain ne naquit pas sur le sol africain, mais prit racine aux États-Unis, porté par des descendants d’esclaves déportés, animés par la volonté farouche de reconquérir leur dignité perdue.

Sylvanus OLYMPIO
Sur le terrain africain, plusieurs leaders pionniers, dont Sylvanus Olympio, se dressèrent bien avant et après l’indépendance pour éveiller les consciences et affirmer qu’un « États-Unis d’Afrique » était la seule issue à l’emprise coloniale. Olympio, figure visionnaire et intrépide, se distingua par son engagement sans compromis pour rompre le pacte oppressif avec les puissances impérialistes. Sa stature charismatique et son intellect multilingue – maîtrisant le français, l’allemand, l’anglais, le polonais et bien d’autres langues, hormis l’Ewe – lui conféraient une aura redoutable, suscitant à la fois admiration et animosité parmi ses contemporains.
Derrière l’image édulcorée du panafricanisme se cache une réalité plus complexe : Nkrumah, tout en défendant en public les idéaux de libération et d’unité, nourrissait en coulisses une jalousie aiguë envers ceux qui osaient repousser les limites du combat panafricain. La preuve en est le référendum de 1958 dans la région de Volta, orchestré de main de maître pour rattacher, de force, le Togo britannique au Ghana déjà indépendant. Cet épisode, loin d’être un acte de pure unité, révèle une manœuvre politique pernicieuse destinée à assoir la suprématie de Nkrumah sur un mouvement qui, en réalité, devrait appartenir à tous les Africains assoiffés de liberté.
L’inimitié entre Nkrumah et Olympio s’explique ainsi par une divergence fondamentale: d’un côté, un Nkrumah ambitieux, épris d’un ego démesuré, rêvant d’agrandir son empire panafricain en absorbant ses voisins, et de l’autre, un Olympio lucide et fier, convaincu de la viabilité d’un Togo souverain et d’une Afrique réellment unie par le respect de ses diversités. Tandis que Nkrumah cherchait à se positionner en unique architecte du destin africain, Olympio, par son esprit visionnaire et son refus catégorique de céder aux sirènes de l’hégémonie, représentait une alternative radicale et authentique à l’hégémonie coloniale.
Pour mieux saisir la profondeur de cette rivalité destructrice, il est vivement recommandé de lire « Sylvanus Olympio, un destin tragique » de l’historien politologue Kokoutsë Agbobli. Cet ouvrage éclaire avec minutie les raisons de l’affrontement idéologique entre ces deux géants du panafricanisme.
En définitive, Kwame Nkrumah, tout comme d’autres figures emblématiques telles que Haïlé Sélassié, Modibo Keïta ou Julius Nyerere, incarne la dualité du panafricanisme : un idéal de libération et d’unité qui se heurte sans cesse aux ambitions personnelles et aux rivalités internes. Mais dans le cas précis du Togo – terre d’un premier président indépendantiste, Sylvanus Olympio, qui a combattu pour l’unité des peuples Ewe – la trahison de Nkrumah, matérialisée par ce référendum fallacieux, reste le symbole d’un continent divisé par des querelles d’ego au détriment d’une véritable émancipation africaine.