Le projet du retour de Charles Blé Goudé dans son pays natal après plus de dix ans d’exil est en train d’être réalisé. En tout cas, ce n’est qu’une question de quelques heures voire deux jours. Comme l’intéressé l’a dit sur RFI le 24 novembre 2022, son retour s’inscrit dans le cadre de la politique de réconciliation nationale enclenchée par l’actuel président du pays, Dr Alassane Dramane Ouattara. Charles Blé Goudé veut que son retour ne soit pas triomphaliste, mais sobre. Cependant, le fait qu’il l’annonce sur les médias et que d’autres en parlent, peut-on encore l’inscrit dans la sobriété, cet évènement ? Là n’est pas la question, car la vraie question demeure l’avenir politique de Charles Blé Goudé après son retour au bercail.
Il faut rappeler que Charles Blé Goudé et l’ex-président Laurent Gbagbo étaient condamnés par la CPI dans un procès de guerre, après la crise post électorale de 2010, dont Alassane Dramane Ouattara avait été proclamé vainqueur de l’élection présidentielle par l’ONU qui a certifié le suffrage universel en défaveur du président sortant Laurent Gbagbo en conflit diplomatico-armé avec la France et ses alliés. Ainsi deux camps se sont affrontés militairement jusqu’à ce que le camp de Laurent Gbagbo ne fût vaincu. Des morts ont été dénombrés de part et d’autre. Des atrocités à travers des crimes odieux ont été enregistrés dans les deux camps. Malheureusement, la CPI jugée jusqu’alors par les Africains comme étant un instrument des Occidentaux pour anéantir des présidents africains qui éveillent les consciences en se mettant dans la posture nationaliste, n’a jugé que les responsables politiques du parti de Laurent Gbagbo. Une « justice des vainqueurs », disaient beaucoup d’observateurs. Après le réquisitoire de la procureure Ben Souda, d’origine gambienne, qui a requis une condamnation à perpétuité contre Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, la Cour a jugé les preuves trop flottantes et a élargi purement et simplement les deux hommes politiques.
Or, dans le pays, la justice aux ordres du président sortant qui a été aussi l’un des acteurs de cette crise post électoral, a condamné Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé. Ce qui a posé un problème pour leur retour. Il a fallu des accords politiques pour que Laurent Gbagbo, fut rentré trois après son élargissement. Aujourd’hui il jouit de ses libertés. Pour le cas de Charles Blé Goudé, il a attendu 8 mois avant que son retour au bercail ne soit effectif. Pourquoi ? Rien ne saurait le dire. Cependant, certains pensent que le président actuel Alassane Ouattara a l’intention de l’utiliser contre son mentor Laurent Gbagbo entre qui la relation est quelque peu écornée, au cas où Laurent Gbagbo déciderait de se présenter à la prochaine présidentielle. Dans ce cas, d’une part, les voix de l’ancien Front Populaire Ivoirien (FPI) vont s’effriter, car l’ex président a créé un autre parti politique le PPA-CI dont il est président, d’autre part des voix vont s’effriter au sein de l’ancien FPI, pour la simple raison que Charles Blé Goudé a emporté certains anciens membres de son parti mère pour créer un autre parti COGEP. L’existence de deux partis politiques dont l’un est présidé par Laurent Gbagbo et l’autre par Charles Blé Goudé ne justifie-t-elle pas la raison d’une relation conflictuelle entre les deux hommes politiques, dont l’ambition politique demeure plus que vivante ?
Pour l’heure, et Charles Blé Goudé et Laurent Gbagbo ne se prononcent pas pour leur candidature à la présidentielle prochaine. Mais, tout porte à croire que ces hommes politiques y compris ceux qui sont au pouvoir actuellement n’ont pas envie de s’éclipser sur la scène politique. Or, tous ont causé trop du tort à ce peuple ivoirien qui a été divisé pendant la crise. Le tissu social a été déchiré. Aujourd’hui, tous ces acteurs politiques ont un seul mot d’ordre : la réconciliation. Sont-ils crédibles de contribuer à la réconciliation nationale, si l’on sait que le peuple avec ses composantes se réconcilie déjà ? De tout temps, il est démontré que le vivre-ensemble, la cohabitation entre les habitants de diverses ethnies dans un milieu ne posent pas problème, car le brassage, le mariage entre les gens créent une convivialité, une fraternité, bref une alliance entre les fils et filles, mais c’est des hommes politiques avec intentions inavouées et obscures qui créent la division entre les fils d’un même pays.
Si Charles Blé Goudé rentre au pays aujourd’hui, les ivoiriens ne doivent pas se méprendre sur ses ambitions politiques. La raison de retour évoquée par l’homme selon laquelle il revient pour contribuer à la réconciliation nationale n’est que subsidiaire. Certains parleront d’une raison flottante, car la vraie raison s’explique par les enjeux politiques voire électoralistes. Les Ivoiriens doivent rester vigilants pour ne pas tomber une fois encore dans les mailles du filet des politiciens. Charles Blé Goudé tout comme les autres acteurs politiques qui sont impliqués dans les crimes de sang, politiques et économiques n’abandonneront jamais leur appétit politique. Or, la politique, comme l’a défini, le politologue français Montherlant, est « un art pour se servir des autres ». Et puis beaucoup d’hommes politiques sont très versatiles. D’ailleurs, Charles Blé Goudé, lors de son interview ne l’a pas caché lorsque Christophe Bouabouvier lui a posé la question sur son intention d’être un probable candidat à la prochaine présidentielle. Eh bien ! L’homme a été franc en déclarant que : « ce qui est vrai aujourd’hui ne l’est pas forcément demain ».
Il est vrai que la classe politique ivoirienne doit se rajeunir. C’est pourquoi Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo, avec sagesse, devraient se retirer de la vie politique ivoirienne, car ils ont entretenu trop de haine politique à travers des manipulations politiques dans l’environnement politique, au sein des communautés ethniques, régionales et religieuses. Les séquelles de ces maux demeurent fraiches. Raison de plus chaque Ivoirien doit œuvrer pour que les vieux démons ne reviennent plus dans le jeu politique après des échéances électorales. Mais encore faudrait-il que des jeunes qui émergent sur la scène politique, c’est-à-dire des jeunes leaders politiques sauront moraliser la vie politique ivoirienne en faisant en sorte que la politique et la morale font bon ménage, même si, à priori, c’est difficile, les valeurs morales africaines doivent les guider dans le sens de la non-violence. La Côte d’Ivoire a besoin de tous ses fils pour réussir ce défi d’apaisement. Pourquoi pas créer les mêmes conditions favorables pour les autres exilés politiques compris Guillaume Soro, encore dans l’attente d’un retour au pays natal ? Le développement de la Côte d’Ivoire c’est l’affaire de tous les Ivoiriens, car la politique d’exclusion est un danger pour le pays. Sans le vivre-ensemble, aucun développement n’est possible. Surtout c’est dans la diversité à travers les différentes opinions politiques qu’un pays peut être développé. C’est dans cet esprit seul, que le retour de Charles Blé Goudé doit être inscrit.
Anges ADJANOR
